Idir

Le regard noir pétille. Il hésite entre douceur timide et coups de gueules énervés.

Sans cesse, sa vie française venait dans sa tête, l’aidant parfois à avancer, l’empêchant à d’autres moments d’aller de l’avant. Son regard marquait parfois la peur de ne pas pouvoir sortir indemne de l’aventure qu’il préfère conserver dans sa tête plutôt que de la raconter à ses amis. « Putain de Niger, galère, misère… » scande-t-il pour résumer le vqyage effectué.

Avec honnêteté, le jeune homme à l’allure plus fragile que les autres reconnaît être fier d’avoir tenu jusqu’au bout, même si la peur de mourir le propulsait vers l’avant… « Je veux oublier le désert », assure le jeune Lyonnais, plus bavard pour évoquer le Rhône et ses habitudes urbaines plutôt que pourse souvenir du sable.

Souvent râleur, la gamelle mobilisait son énergie. Allez, jeune homme, continue ta route mais accepte les règles, le travail, le regard des autres, tout cela te rendra plus heureux… C’est le chemin de la conscience …

Alain Bellet

 

La mort nous suivait

J’avais faim à mort, je tenais la petite chèvre dans mes bras en me disant que j’allais bien manger. Je la regardais, la mort l’attendait. Toute en noir, la mort était derrière elle. J’étais maigre, j’avais faim. À côtés de moi, un jeune Touareg m’accompagnait pour chercher la viande…

La mort suivait le petit bouc. Il savait qu’il allait mourir. La mort nous suivait toujours. Derrière elle, le vide, le désert, les cailloux, la fin… J’étais seul avec la bête et elle allait mourir. Et moi?

Je me croyais seul, mais la mort nous suivait pas à pas, à l’écart… J’avais peur de mourir, pensant que la vie était un passage minuscule. J’avais peur de ne pas rentrer en France, de ne jamais revoir ma famille…

Idir

 

Ici et là-bas

Je pétais un câble et tirais mon chameau. J’étais dégoûté d’être là-bas, je pensais à la France. J’étais dans le Ténéré et au bord du Rhône. Je regardais les chameaux et je voyais des femmes. J’observais l’horizon et je voyais Saint-Jean. Le soleil était trop chaud et j’étais à la terrasse avec une pression. À l’arrêt, je buvais de l’eau au goût de chèvre, le coca était bien frais dans ma tête. Le silence des Touareg me rappelait le bruit de ma ville. Le soir, quand je mangeais les pâtes de Bay, je dévorais, gamellais du kebab bien cuit. Quand je marchais tout seul sur le sable, je pensais à ma famille.

En fin de journée, je me couchais en pensant qu’à Lyon j’étais dehors.

Au Sahara ou à Lyon, mes rêves étaient les mêmes, des femmes m’entouraient, mes pensées étaient toujours les mêmes…

Idir

 

Le guerrier

Je revois son visage, dans ses petits yeux qui me rappelaient les asiatiques, je voyais sa vie, sa force, son courage. Quand il descendait de chameau, je pensais qu’il était un guerrier et sa présence me rassurait. Ses gestes, tout son corps, me faisaient penser qu’il était un vrai chamelier, un nomade, un homme fort.

Il aime la liberté, déteste les maisons, les tatarams, et préfère le désert… Chez lui, c’est-à-dire au milieu des cailloux, il s’occupe sans cesse de ses moutons, sa richesse. Sa femme et sa fille s’occupent des chèvres, de la nourriture, lui, il va chercher l’eau, soigne ses moutons, les chamelons et les chameaux.

L’homme semble résistant, difficile à abattre. Il m’a raconté ses guerres, la rébellion contre les Aoussas et je ne pense pas qu’il eût peur de se battre…

Le regardant faire ses cinq prières par jour, je sais que c’est dans l’Islam qu’il trouve sa force, sa résistance, sa gentillesse aussi qu’il donne à tous ceux qu’il rencontre. ..

J’entends sa voix quand j’allais au puits à chameau, il chantait en tamasheq des choses tristes, sûrement. Sa voix était parfois grave, parfois aiguë. Boubakar me semblait plutôt triste, même s’il riait parfois. Je l’aime bien, cet homme.

Au début de la caravane, j’avais envie de rentrer en France, je n’aimais personne et je n’avais pas envie d’aller dans les familles. Pourtant, une fois avec lui, je me suis rendu compte que je l’aimais bien, un peu comme un père… Même s’il m’énervait parfois, je me taisais, même avec la rage, j’acceptais ce qu’il me demandait de faire, comme partir, la nuit tombée, pour rechercher les moutons…

J’aimais discuter avec lui, à midi, le soir. Je pense qu’il s’intéressait beaucoup à nous, aux jeunes, aux dangers de la prison… Il aimait bien les jeunes qui ont vécu dans son campement, il en parle, se souvient d’eux. Peut-être qu’il se rappellera aussi de moi ?

En partant, il m’a dit: « Ne fais pas de soucis à ta mère… et puis mange, ta mère va penser qu’on t’a pas donné à manger».

Boubakar, je vais parler de toi à mon père, à ma mère, à mes frères. Je vais leur dire que tu étais un guerrier, un bon musulman, une force de la nature, quelqu’un de juste, quelqu’un de bien. Je pense que tu es un homme qui fait attention aux autres, à moi aussi.

Je pense que tu m’as apporté quelque chose, mais quoi ? Je finirai bien par le comprendre.

Merci, Boubakar ! Inch Allah !

ldir

 

 

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