Kevin

Kévin

Un rêve d’Ethiopie

 

 Un rêve d’Ethiopie

En jeune homme moderne, Kevin sait tenir les comptes de sa vie. Sauvé jadis par ceux qu’il a pu décevoir, il se sent encore redevable, encore comptable, comptable d’une dette qui lui mord toujours un peu la tête…

L’air enjoué, le regard embué, il dit qu’il s’en va de ce qui était lui. Charger le disque dur, dure manip, mais il a confiance. Le sable a su gripper une configuration d’emprunt, un habillage de fortune qu’il ne reconnaît plus. Un autre lui a pris forme auprès des hommes bleus. C’est une ébauche de bonheur qui s’installe entre deux sourires passagers, perturbés un instant par un nuage grave.

C’est l’heure dangereuse des culpabilités en chaîne, celle où l’espérance semble un instant bousculée, et puis la vie reprend avec énergie, cette envie de changement qui l’anime au gré des musiques mélangées de ses racines, techno­ poête d’avenir, tu avances vers demain sans jamais oublier d’où tu viens ni les regards croisés. Volontiers espiègle et vif, tu sais aussi la gravité de ce qui se joue ici. Continue, Petit…

Alain Bellet

 

Ce que j’ai le plus aimé là-bas…

C’est la gentillesse des gens que j’ai rencontrés. J’ai apprécié leur compréhension et ce sentiment de liberté que j’éprouvais moi-même.

Dans ce pays-là, tu ne connais personne, personne ne te connaît, c’est comme si tu étais vierge…

Une renaissance, c’était pour moi comme une renaissance…

La terre et ses habitants, le Sahara et les Touareg, c’était le paradis, quelque chose de fabuleux qui s’accouple si bien.

Le plus fort que tu prends en pleine gueule, ce sont les images qui se bousculent dans la tête. Dans certains paysages du désert, je retrouvais d’autres images, celles de mon pays, celles de mon enfance.

Dans les familles, je retrouvais ces ressemblances. Il y avait du partage, des sentiments, de l’amour…

Je crois que j’étais inclus parmi les Touareg. Abakaoua me considérait comme son fils.

Quand tu es là-bas, tu te rends utile, il n’y a pas de moment où tu ne peux rien faire…

Les moments personnels, c’est le soir…

Les images me faisaient penser aux problèmes, à la famille, et me faisaient savoir comment résoudre les problèmes, comment avoir une vie meilleure …

Là-bas, c’est la paix partout, alors qu’en France, le moindre incident devient un drame!

Moi, j’ai fait ce voyage pour découvrir des choses fortes. Ce n’était pas un week-end prolongé! Je savais que je ne serais pas déçu, je le savais…

J’ai grandi dans ma tête, j’ai enfin réagi et je crois avoir découvert des choses que je ne voyais pas ici…

Kevin

 

Un hommage pour les autres enfants

J’ai découvert la solitude, un sentiment bizarre… Elle me donnait la force pour avancer, pour me comprendre et pour expliquer les choses.

Je comprenais mieux pourquoi j’étais venu en France… Je pensais aux autres enfants. Qu’étaient-ils devenus? Ils n’ont pas eu ma chance et moi, je l’ai un peu gâchée, cette chance…

Peut-être que les autres seraient mieux que moi, s’ils avaient eu ma chance. J’aimerais faire en sorte de mériter cette chance et en cela leur rendre hommage. Les Touareg avaient la même perception des choses. Bachar me disait: « Le mieux, c’est que tu vives normalement, sans penser à cette dette… »

La dette reste là. Mes parents ont tout fait pour m’adopter et moi, je les ai déçus. J’essaie de sortir fier de cette situation que j’ai laissé venir, aveugle que j’étais. Une nouvelle amitié s’est emparée de moi. Je ne l’avais jamais trouvée en France. C’était un sentiment que je ne pouvais m’expliquer. Les Touareg m’éclairaient, me montraient des choses que je ne voyais pas, des choses simples, basiques, comme le respect, le partage, ma propre compréhension.

Je commençais à me découvrir, cet être drôle que j’étais avant, ce n’ était plus moi. Les chameaux, le vent, le sable, la beauté du désert me transformaient. Parfois, je ne savais plus qui j’étais. Tout était remis en question, je devenais un autre. J’éprouvais de la souffrance. J’avais la rage, du mépris envers moi-même, du dégoût parfois.

Les grandes dunes me montraient le chemin que je voulais suivre pour sortir du labyrinthe, entre bonté et méchanceté, utilité et inutilité.

Là-bas, j’étais fier de moi. À la fin du voyage, je me disais que je n’étais pas pire qu’un autre, parfois mieux qu’un autre et je me sentais rassuré. Aujourd’hui, mieux vivre, construire quelque chose m’oblige à faire du tri. Je veux éviter de couler au fond, je veux me relever, retrouver la même perception que celle des hommes du désert.

Kevin

 

Grandir

 

Garçons ou filles sont détachés, décrochés

Réussir, pour vivre leurs choix rapidement

Apprendre la vie d’aujourd’hui, positivement

Ne  plus faire qu’à sa tête, être, ne pas être, évidemment

Dedans, sois dans ta vie, pleinement!

Imagine la vie des anciens, frangin…

Rappelle-toi, ici ou là-bas, après je ne sais pas…

 

Kevin

 

Chers frangins

Si je vous écris cette lettre, c’est parce que le rêve d’un petit Ethiopien vient d’être exaucé. Je suis arrivé. Le rêve d’un môme s’est réalisé…

C’était peut-être dur pour l’équipe et moi, mais la beauté du Ténéré m’a aidé à me sentir bien pour comprendre les gens que je ne comprenais pas. Eux, ils ne vont pas changer, mais peut-être que moi j’ai bougé, mon regard a changé…

Je me souviens du jour où j’ai dit : « J’ai changé »… Le soleil se couchait, Jean-Claude m’écoutait, les étoiles aussi, peut-être…

Je pensais que je ne regarderais plus jamais les gens et les choses de la même manière… Peut-être que j’ai appris à écouter, à apprendre, à prendre des décisions, ce que je ne savais pas faire, avant…

Maintenant, je choisis ma route, une route semée d’embûches mais aussi pleine d’accomplissements pour me sentir fier, utile.

Avant le voyage, ma fierté ne me correspondait pas…

Kevin

 

Tempête sur les neurones

 

Une tempête qui me trotte dans la tête,

Sans cesse, elle vient repart, jamais ne s’arrête,

Une tempête qui me trotte dans la tête,

En gâchant ma chance, c’est trop bête,

Une tempête qui me trotte dans la tête,

Je veux la domestiquer, je le souhaite !

Une tempête qui me trotte dans la tête,

De toute façon, elle s’entête…

Une tempête qui me trotte dans la tête,

Que faire pour la stopper, la cerner, lui faire sa fête?

Une tempête qui me trotte dans la tête,

Elle est aussi mon amie, ma belle Zoulette

Une tempête qui me trotte dans la tête,

Sans cesse je la guette, c’est ma force, c’est ma quête…

 

Kevin

 

Le défi

J’ai grandi et j’ai des projets! Sans projets, tu ne peux pas avancer, tu ne peux pas savoir ce que tu veux. Quand tu décides quelque chose, il faut aller jusqu’au bout.

C’est comme un défi, aller au Ténéré, par exemple.

Au début, tu te dis, c’est un truc de malade d’aller foutre son nez dans une dune et quand tu arrives là-bas, tu es envoûté, charmé. Le paysage claque, déglingue, te pète dans la gueule.

Quand tu regardes tout ça, tu penses que tu avais tort de ne penser qu’au soleil ! Tu te dis aussi que tu ne veux pas revenir, c’est comme le pari d’un combattant. Là-bas, quand tu vois les jeunes, tu te dis pourquoi pas moi, j’en suis capable.

J’ai découvert qu’au désert, quel que soit l’âge, tous les Touareg ont des responsabilités. À chaque âge, une tâche correspond alors qu’ici, on ne remplissait pas notre part de responsabilité.

Kevin

 

Source de vie

 

À la source de ma vie, lÉthiopie menvahit

Mais je pense que la France me détruit

Vite, trop vite, la vie m’éblouit

Aujourd hui, peut-être, elle me sourit.

 

Terre perdue, terre oubliée, même si je ne pense plus beaucoup à toi, je t’ai revue pour mieux comprendre ma solitude, mes angoisses, mon chagrin.

J’ai reconnu les hauts plateaux de pierre dont j’ai tant rêvé, le désert ressemblait au mien que j’ ai tant aimé.

J’étais excité de retourner dans un décor familier. Dès mon arrivée, un Touareg attendrissant, joyeux, posé et calme, me prit par la main. Son regard profond me calma. Je me sentais de sa famille et de suite, j’éprouvai un grand respect pour cet homme. Abakaoua me faisait penser à quelqu’un de proche. Sans parler le français, il m’ écoutait, me comprenait, imaginait mon histoire d’enfance sans la connaître. Je l’enviais, il vivait sur un bout de terre à l’abri des problèmes, sans violence. Je l’aimais.

De tout ce que j’ai appris dans mon pays d’adoption, j’aimerais retourner là-bas pour voir les miens, et les aider. Le bol d’air du désert m’en a rapproché.

Un jour prochain, Inch’ Allah, « Guebré Meskel Nedgès » reverra les siens…

 

« Guébré » (Kevin)

 

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