Smahane

Smahane

Smahane, une fille en mouvement

Un rap infatigable coincé entre ses lèvres, Smahane navigue à l’envi entre une joie simple et quelques bourrasques personnelles. Baromètre sensible, elle cherche le bonheur dans un éclat de rire. Là-bas, elle se fondait dans le paysage, se cherchait des mères, des soeurs, une sorte de seconde naissance au gré des sourires de toutes ces femmes touarègues prêtes à lui faire confiance…

Dans le chant des dunes accompagnant les couchers de soleil, peu à peu, elle tentait la paix avec elle même, découvrait avec délice une terre nouvelle, sa féminité.

Le désert effaçait son allure de garçonne, le jogging oublié, les cheveux plaqués envolés, les robes du désert renouvelaient son être, son devenir de femme.

Parfois, la rue ardéchoise la replongeait dans des tics, des allures, des tonalités que le sable s’était efforcé de dissiper.

Berbère, elle était chez elle, chez ces cousins du Sud et certains jours d’écoute et d’attention, ses yeux s’éclairaient alors à l’aune de l’espérance, de la douceur, trop éphémère encore, entre des tempêtes spontanées, l’espace d’une colère, d’une bouderie, d’un tangage passager qui s’accrochait encore aux basques des quotidiens….

Alain Bellet

 

 Au début de la caravane

Dans la caravane, au début, on ne marchait pas, on s’arrêtait trop. Il fallait aller plus loin. Je pense que cela aura été bénéfique pour moi. Je ne pouvais pas toujours mais je me disais adieu les bêtises. Maintenant, je suis fière d’avoir passé l’épreuve qui m’a permis de savoir ce que je veux réellement. J’étais dans la perte de temps mais aujourd’hui, j’arrive à faire la différence entre le bien et le mal et je sais qu’il ne faut pas jouer avec le feu. Il te brûle douloureusement.

Tout cela est grâce à Rita et Jean-Claude ainsi qu’aux Touareg qui m’ont acceptée dans leur tradition. Le 28 mai, j’ai eu énormément mal au coeur de quitter le chef du village. J’ai senti que j’avais beaucoup d’amitié, de sympathie, de respect. Cela m’a fait un clic ! Je n’ai jamais ressenti quelque chose pareil!

Ce jour-là, nous étions invités chez le chef du village pour lui dire au revoir. J’ai discuté avec lui et je lui ai dit : « Monsieur le chef du village, on vous remercie beaucoup, moi personnellement je trouve que j’ai gagné ma féminité grâce à vous et aux Touareg qui nous supportaient. Je trouve que je ne suis pas la même Smahane que celle qui disait toujours ne faire confiance à personne. Maintenant je suis fière de moi, grâce à ceux qui m’ont montré ce chemin, j’espère pouvoir revoir cette tradition qui m’a fait beaucoup de bien. Ce voyage m’a beaucoup servi ».

Je me suis dit qu’il y avait une petite porte à la fin du désert mais il fallait trouver la clé !

Je marchais dans le sable, je pensais à ma mère, à ce qu’elle pensait de moi. J’espère que tu vas réussir, me disais-je, perdue dans les dunes. De temps en temps, je me posais la question: « Pourquoi j’ai dit oui au Centre d’Education Renforcée ? Qu’est-ce que je fais là, loin de ma mère, loin de tout, loin de David aussi? » Le temps n’en finissait pas, les journées se ressemblaient et les dix-sept kilomètres, chaque matin, me permettaient de réfléchir.

Au début du voyage, j’avais peur d’avoir peur puis finalement, j’avais peur de mourir. Dans ce désert perdu, loin de ma mère. En avançant dans le sable, je marchais sur les gens qui m’avaient fait du mal. J’avais l’impression de les écraser. Physiquement, ça allait. Je marchais, regardais une dune, le regard grave. Seuls les chameliers me faisaient rire. Ils criaient lorsque je faisais trotter les chameaux dans les montagnes noires. 

Plus tard, nageant dans le bonheur d’une guelta, je me sentais bien après un mois et demi de caravane. L’eau lavait mon corps, mon esprit aussi. Un vent léger froissait les grandes feuilles de palmier. Je me sentais bien. Je voyais devant moi le chemin conduisant à la petite porte. Il me restait toujours à en trouver la clé…

Smahane

 

Le désert m’a servi, je crois…

C’était un cadeau. Il m’a appris beaucoup de choses, la confiance par exemple, et puis de savoir se respecter soi-même et respecter les autres. Au désert, Rita m’a aidée à prendre ma décision. J’aimerais travailler dans un bureau, prendre des responsabilités par moi-même, avoir des enfants heureux et fiers de leur mère. Je sais que je leur dirai qu’ils ne prennent pas le même chemin que moi. Le mien était choquant pour les gens, pour moi aussi mais je ne m’en rendais pas compte. Il a fallu qu’on me le dise et que j’essaye de ne pas me comporter de la même manière. 

Smahane

Dans le désert sans eau, il y avait mes larmes

Je pleurais quand je pensais, contre moi, il y avait des armes

Dans le désert sans eau, il y avait mon drame

Je pensais quand je pleurais, contre moi les gendarmes

Dans le désert sans eau, il y avait un peu d’espoir

J’avançais avec mes pieds, avec ma tête, marre d’être poire

Dans le désert sans eau, il y avait ma peau morte

J’ai appris à grandir, j’ai appris à être plus forte

Dans le désert sans eau, il y avait mes cauchemars

Je marchais, m’acharnais, m’en sortir demain au plus tard 

Dans le désert sans eau, je le reconnais, j’avais encore peur

Je voulais m’en sortir, vite, vite, quitter le malheur

Dans le désert sans eau, je sais qu’il y avait le courage

J’évoluais dans mes pensées, je voulais être sage

Dans le désert sans eau, j’arrêtais enfin de ramer

En pensant aux femmes du désert…

Celles que j’ai aimées…

 

Smahane (et Alain)

 

Je pense que le voyage m’a rendu la joie

A partir du moment où nous avons vécu avec les familles touareg, J’ai vraiment ressenti une responsabilité. Elles me faisaient confiance. La femme de Ihram m’a proposé de garder ses enfants. Je me suis dit alors qu’elle ne me connaissait ni d’Eve ni d’Adam et pourtant, elle me faisait confiance! J’avais trouvé cela bizarre parce qu’avant, personne ne m’avait fait confiance… Etait-ce grâce à chaleur du soleil, grâce à la couleur violente des pierres, grâce à la force du vent du désert?

Cette femme me voyait grande. Elle me regardait pour voir comment je m’y prenais avec ses enfants. Moi, je me voyais déjà dans le futur, avec mes propres enfants… Je leur donnais à manger, les berçais, les calmais, c’était formidable… C’était les siens mais elle me montrait la route, une route faite d’amour.

Peut-être que l’on ne m’a pas donné assez d’amour ? Je suis certaine que le jour où j’aurai des enfants, ils ne passeront pas par la même route que moi….

Moi, j’ai fait du mal à ma mère, à ma famille, à moi-même aussi…. Je n’ai encore jamais ressenti à quel point c’était tant douloureux. En ce moment, je me dis souvent que si tout était à recommencer , je prendrais les choses en main, c’est-à-dire que je serais plus autonome…

Smahane

 

Quand je pense

Je pense parfois pourquoi je n’ai pas eu une vie normale

Je pense parfois pourquoi ça n’arrive qu’à moi

Je pense parfois pourquoi je ne suis pas la même Smahane

Je pense parfois pourquoi je suis là

Je pense parfois pourquoi je n’ai pas réfléchi

Je pense parfois pourquoi je fais n’importe quoi sans réfléchir

Je pense parfois à avoir une vie sans souci

Je pense parfois à reprendre confiance en moi et en les autres

Je pense parfois que je peux tenir sans faire de bêtises

Je pense parfois, que je peux réussir à ne pas fumer de shit

Je pense parfois, que je suis capable

Je pense parfois au progrès

Je pense parfois que c’est pas bien quand je regrette mon passé

Je pense parfois que je suis fière de moi, ai-je raison?

Alors je repense parfois que je m’énerve sans réfléchir

J’avoue parfois que j’ai fait du mal aux gens, à mon personnage (de choc).

Je pense parfois « y a un temps pour faire les conneries et un temps pour s’arrêter »

Je pense très souvent à ma mère

Je pense parfois avoir un but

Je pense parfois obtenir une famille, avoir un mari

Je pense parfois avoir un ou plusieurs casiers qui pourront s’effacer

Je pense parfois qu’il est temps d’ arrêter mes conneries et passer à l’acte

Je pense parfois et j’ essayerais d’ aller jusqu’ au but

Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui veulent que je marque le but

Je pense parfois que c’est fini

Je pense parfois que je remercie Rita et Jean Claude qui m’ont fait partir vers le but

Merci beaucoup

 

Smahane

 

Demain

Ma vie sera belle quand quelqu’un m’aimera

Ma vie sera belle quand je serais fière de moi

Ma vie sera belle quand mes problèmes auront disparu

Ma vie sera belle quand je n’aurais plus de souci à me faire

Ma vie sera belle quand j’aurai de meilleures fréquentations

Ma vie sera belle quand je reverrai des gens qui ont su me faire confiance

Ma vie sera belle quand je n’aurai plus de comptes à rendre à la Justice

Ma vie sera belle quand je serai encore plus féminine

Ma vie sera belle quand je pourrai monter sur une échelle et ne pas dégringoler

Ma vie sera belle quand je travaillerai

Ma vie sera belle quand je pourrai me voir dans une glace sans me dire que je ne ressemble à rien

Ma vie sera belle quand je serai sûre de moi

Ma vie sera belle quand j’arrêterai de parler et d’agir au présent seulement

Ma vie sera belle quand j’aurai un studio de musique, mon rêve!

Ma vie sera belle quand je transformerai mes malheurs en plaisirs

Ma vie sera belle quand je repenserai aux moments passés au Ténéré

Ma vie sera belle quand tout ce que je viens d ‘écrire se réalisera…

Inch’ Allah.

 

Smahane

 

 Chez ces gens-là…

Vivons le séjour en paix. Ne pas se prendre la tête gratuitement, ça sert à ce que ça empire.

Nous sommes là pour changer et non pas pour nous enfoncer.

Nous avons tous des problèmes les uns les autres. Les éducateurs aussi parfois, ils poussent le bouchon, je ne dis pas que c’est tous les jours, mais je pense aussi qu’on les saoûle parfois. C’est normal, on en a tous marre de faire des conneries gratuitement. En faisant des conneries, ça ne résoud pas les problèmes. Eux, rentrent chez eux, posés dans leur tête, ils voient leur famille, leurs enfants, alors que nous, nous saturons.

Faire des conneries sans réfléchir, sans penser qu’un jour ça se paie.

Ce que j’attends de la fin du séjour, est d’avoir un bon dossier, pouvoir se présenter au juge sans se soucier. Pouvoir regarder ma mère avec un sourire et dire « continue comme ça, ne lâche pas, ne régresse pas, ça ne sert à rien ».

Quelle est la différence entre un saint et un délinquant?

C’est que le saint a une vie sans se soucier tous les jours des keufs. Moi, ils me convoquent, qu’est ce que je vais leur dire, c’est chiant.

Le délinquant se pose des questions: » Pourquoi j’ai fait ça », « Je le regrette, j’ai été con, j’ai fait du mal à ma famille et j’ai fait du mal à moi aussi. »

Comment se rattraper ?

Faire le nécessaire pour pouvoir avoir la conscience tranquille et avoir une vie comme les autres. Je le regrette beaucoup, car maintenant j’ai du mal à trouver un travail, à parler correctement, se comporter convenablement. C’est dur, dur d’obtenir cette chance. J’aimerais bien qu’on soit fier de moi, et j’aimerais être fière de moi-même dans ma tête. J’aimerais que le juge et ma mère soient fiers aussi.

Maintenant, le plus important est de montrer que j’en suis capable car ça ne me fait pas plaisir d’avoir ce cauchemar dans ma tête, qui ne me permet pas d’avancer. Maintenant je donne du mien à fond, peut-être que ça ne se voit pas, mais je sais que j’essaie d’évoluer. C’est dur, car quand tu as l’habitude de toujours désobéir, c’est terriblement difficile d’essayer d’obéir.

Alors moi ce que je propose, c’est d’essayer d’avancer dans notre vie et dans la vie de groupe, en Ardèche. Il faut pouvoir se serrer les coudes les uns et les autres pour pouvoir obtenir une vie normale. Si l’un d’entre nous n’a pas cette envie, rien ne marchera pour les autres et tôt ou tard ça se retournera contre lui , contre moi.

Smahane

 

Prendre les choses en mains

C’est-à-dire être autonome,

Savoir dire non !

Le shit, pas question !

Mauvaises fréquentations, attention !

Au désert, j’ai trouvé la vie

Adieu les crises

Adieu la déprime

Au désert; j’ai trouvé la famille des plaisirs

Dans la joie, avec les fous rires

Au désert, j’ai inventé ma liberté,

Dans les gueltas, je me suis abreuvée

Je marchais, je chantais, chantais, chantais…

 

Smahane

 

Madame le Juge

Une bonne nouvelle : je pense que j’ai passé des étapes difficiles au Ténéré, mais elles m’ont permis d’avancer. Là, je peux vous dire que je regrette beaucoup d’avoir fait des bêtises sans réfléchir. C’est vrai, maintenant, je me rends compte de toutes les chances que vous m’avez données et que je n’avais pas prises en main. La­-bas, je marchais et pensais comment j’allais faire pour réussir. Les femmes m’ont aidé, elles m’ont fait confiance et ont permis de m’en sortir un peu, par la féminité. Personnellement, cela m’a beaucoup aidé. Je me dis que j’aurais pu profiter de toutes les chances que vous m’avez données, mais je suis désolée de ne pas avoir su les prendre en main.

Maintenant, je marche échelle par échelle, et j’essaye de ne pas dégringoler car je suis sur la bonne route. Je veux obtenir un but, dans ma vie.

Je ne veux plus revenir dans la délinquance car maintenant, je me dis que la vie est belle. Elle est belle comme on est belle avec elle, alors je reste belle.

Maintenant, je veux assumer toutes les bêtises et les crimes que j’ai commis et après, adieu le Tribunal ! Ce n’est pas que je ne vous aime pas, mais je voudrais ne plus avoir de comptes à rendre avec la Justice. Ce qui est bizarre, c’est que j’ai pu changer dans le positif.

Je suis fière au point de ne plus recommencer. J’aimerais que vous me placiez dans un foyer car je n’ai pas envie de retourner à Trappes , dans ce milieu de racailles. J’ai trop peur de baisser les bras…

Smahane

 

 

 

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