Iférouane: Projet 2020-2021

Tradition et avenir en régions sahélo-sahariennes

Quelques réflexions à contre-courant autour d’une notion absente des analyses : la force de l’identité ethnique.

Profane en politique, je ne porte aucun jugement sur les divers scénarios et objectifs présentés par les analystes. Toutefois, je n’y trouve pas le fond du problème qui est, je crois, inscrit dans la pensée même de ceux qui sont devenus les ennemis de la France. Cette pensée est aussi celle de leurs familles et d’une partie de la population, qui ne peut que les soutenir. Il faut comprendre que si cette population reste minoritaire, elle occupe et maîtrise l’espace dans l’immensité du pays.

S’agit-il pour la France de combattre l’obscurité par la lumière ? Nos adversaires pensent exactement la même chose mais la lumière étant avec eux, sur leur terre ancestrale !

Goukouni Ouédeï

En 1968, j’ai vécu de près le début de la rébellion des Teda du Tibesti. Elle aurait pu être stoppée. J’avais intéressé le capitaine Gourvennec mais, pour son adjoint le lieutenant Galopin, j’étais un jeune aventurier de 25 ans, connaissant certes les Toubou mais trop naïf, voire gagné à leur cause. Son refus de reconnaître le problème réel lui a finalement coûté la vie, pendant que Goukouni Ouédeï, 18 ans à l’époque, est devenu par la suite, étant le dernier fils vivant du Derdé du Tibesti, président du Tchad.

J’ai ensuite connu les rébellions touareg. Elles coulaient de la même source, bien que leurs revendications, pour être comprises, s’exprimaient selon la pensée occidentale. Mais comment faire comprendre une pensée façonnée de spiritualité à un Occident moderne et matérialiste ?

Le discours devait être recevable sur la scène politique et il a fait dériver le problème…

Devant un échec politique, une rébellion s’organise puis, en désespoir de cause, la religion est convoquée, voire l’alliance avec l’islamisme radical. C’est l’itinéraire suivit par Iyad AgAghali, héros touareg de la rébellion au Mali et grand noble ifogha. Au Niger, Khissa Ag Boula, devenu ministre, m’a souvent rappelé que le peuple touareg est d’abord spirituel. Mohamed Ag Aoutchiki, conseiller à la Présidence, me tenait le même discours. Edgard Pisani, en participant aux négociations avec la rébellion, affirmait : «  Il faut reconnaître les identités pour éviter qu’elles ne s’opposent ».

Au-delà des idéologies politiques, la notion d’identité collective, culturelle et profonde, n’appartient-elle pas au domaine spirituel ? Si l’objectif est bien d’avancer vers la paix, je crois qu’il faut remonter aux fondamentaux. Le développement occidental me paraît à l’origine de toutes les frustrations. Le mirage du confort industriel et surtout de la technologie crée des besoins qui ne peuvent être satisfaits, ce qui mène à tous les trafics et à une pulsion migratoire, comme un « rezzu » moderne vers l’origine des biens désirés.

Mano Dayak

En bon « razzieurs », les jeunes Touareg pensent prendre dans le développement ce qui les intéresse, tout en restant eux-mêmes. Mano Dayak me disait que la Range-Rover était le méhari du Touareg moderne, pendant que Théodore Monod reconnaissait « la civilisation du chameau et du bouc » !

Théodore Monod

Certains comprennent aujourd’hui, pour leur identité profonde qu’ils sont prêts à défendre jusqu’à la mort, le danger sournois représenté par la modernité. Dans les campements restés traditionnels, de nombreux enfants désirent poursuivre la vie de leurs parents, libres, au désert, en suivant leurs troupeaux. Il est à noter que les éleveurs ont trop de travail pour se préoccuper de politique.

Dans ce contexte, faire appel aux valeurs traditionnelles est, à mon humble avis, le meilleur moyen d’avancer doucement vers une paix durable en redonnant sa dignité, et un espoir en l’avenir, d’ordre intellectuel, culturel, spirituel, à une population sans laquelle aucune rébellion, aucun « terrorisme » ne peuvent survivre au désert.

La pensée traditionnelle, avec son code moral, « l’Achak », rejette la modernité occidentale sans pour autant faire appel à l’islam intégriste. L’Achak est le fondement de l’identité touareg, ressentie comme la plus précieuse des richesses ! Même le jeune terroriste le sait et regrette, au fond de lui, de l’enfreindre. Un Touareg mourra pour son identité avant de mourir pour l’islam.

Dans les jardins d’Iférouane

Avec des amis touareg « instruits », nous projetons de mener à Iférouane et dans sa région une action expérimentale, très locale, ancrée dans le terrain et soutenue par des autorités clairvoyantes. Son objectif sera de revaloriser, dans l’esprit et l’économie, les modes de vie traditionnels des forgerons, jardiniers et éleveurs qui le désirent. La vie traditionnelle respecte au mieux le milieu naturel et sait s’adapter à un réchauffement qui ne semble pas trop affecter l’Aïr. De plus, elle s’oppose à l’exode rural vers une urbanisation galopante et son cortège de problèmes.

Brigi Rafini

J’ai beaucoup d’amitié et de respect pour Brigi Rafini, originaire d’Iférouane. Il est un homme de compréhension, de dialogue et de paix. Il me semble très consensuel et porte un espoir pour la population locale – et peut-être pour le Niger. Mais je n’ai aucune illusion sur la marge de manœuvre d’une noble politique, seulement de l’espérance en l’humain. En cela, j’entends garder la naïveté que me reprochait Galopin il y a 52 ans.

Jean-Claude Bourgeon, La Civade, 27 octobre 2020.

Quelques notes complémentaires :

Pour les personnes entrées en développement, le retour à la vie traditionnelle semble très difficile, sinon impossible. De plus, le « mécanisme » du développement est devenu indispensable au fonctionnement des états africains et à la géopolitique. Mais en même temps, n’est-il pas important et urgent de préserver les conditions économiques de la survie traditionnelle, qui ne cessent de se dégrader, alimentant ainsi, par force, la demande d’un développement non souhaité ?

Devant une situation désespérée, les mondes touareg, toubou, maure, reguibat pourraient bien oublier, pendant un temps, leurs divisions internes et affrontements historiques pour défendre, ensemble leurs identités menacées, sous la seule bannière qu’ils reconnaissent en commun : l’islam.

Les valeurs traditionnelles sont incohérentes avec la gestion d’un état moderne qui évolue dans un contexte mondialisé. Un peuple resté traditionnel ne sera donc pas un danger. Bien au contraire, il  offrira une richesse de « savoirs » reconnus, très utiles pour lutter contre les défis écologiques.

Quand une situation semble sans issue, pourquoi refuser d’étudier ce qui paraît une utopie  L’identité ethnique est-elle un angle mort de la pensée moderne ?

Après les derniers événements, je constate bien malheureusement qu’être français n’est plus, au désert, une bonne référence. Depuis « l’affaire du voile », l’image de la France ne cesse de s’abîmer.

J’aimerais travailler à la restauration de cette image. Selon moi, cela passe par des actions modestes mais concrètes, accomplies sur le terrain traditionnel en harmonie et amitié avec la population, pour prouver, au-delà des mots, que des Français sont capables de compréhension et de respect.

Aujourd’hui, cette affaire des caricatures, comprise comme blasphématoire, m’inquiète car cela contribue à la promotion d’un islam encore plus rigoureux.

Pour information sur les réflexions et travaux de l’APPEL DU DESERT, fondé en 1993 à l’initiative de Jean-Claude Bourgeon : http://appel-du-desert.com/

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